S’il était encore en vie, je remercierais chaleureusement Pierre-Paul Riquet, architecte sous le règne de Louis XIV qui conçu et construisit entre les années 1666 et 1681 le canal du Midi, reliant l’Atlantique à la Méditerranée. D’une longueur de 240 kilomètres, dotés de plus de trois cents ouvrages (écluses, ponts, digues,…), c’est un chef d’œuvre de génie civil. Trois siècles et demi plus tard, l’ouvrage est toujours en état de fonctionnement, même si le tourisme fluvial a remplacé le commerce de céréales et de vin. Depuis 1996, le canal du Midi est inscrit sur la liste du patrimoine de l’Unesco, tant pour sa valeur architecturale que pour la beauté de ses paysages.
hommage à Pierre-Paul Riquet
Ces deux jours de cheminements sur les voies de halage entre Roubia et Capestan ont été un moment de repos après les Pyrénées et le pays Cathare au relief chahuté.
Le parcours est plat, paisible et ombragé. A l’origine, Riquet a planté des arbres pour stabiliser les berges. Différentes espèces ont été plantées au fil des siècles, dont certaines ont été exploitées pour leur valeur marchande, telle le mûrier pour l’élevage du ver à soie et le peuplier. Aujourd’hui, d’immenses platanes plusieurs fois centenaires bordent les berges du canal et me procurent une ombre généreuse à l’abri de la chaleur suffocante et de la lumière plombante qui règne de part et d’autre de la voie d’eau. Encore merci Monsieur Riquet.
la guerre au chancre coloré
Entre Ventehac-en-Minervois et le Somail, je fais une halte prolongée pour discuter avec un homme d’une quarantaine d’années qui entretient son bateau accosté au milieu de nul part. Il l’a habité à plein temps durant neuf années passées sur le canal avant de s’installer dans une maison non loin de l’endroit où nous discutons. Son attachement au canal lui permettrait d’en discuter sans fin. Il constate avec dépit l’extension rapide de la destruction des platanes par la maladie du chancre coloré. La maladie a été constatée en 2006. Elle se propage à une vitesse effarante. Il n’y a aucun traitement efficace contre le chancre. Plus de dix milles arbres ont été abattus sur les quarante milles qui bordent les berges. Voies Navigables de France est condamné à les remplacer par une espèce de platanes plus résistance ou des espèces différentes. Mon compagnon m’explique la signification des signes cabalistiques peints sur les troncs d’arbres, croix blanche pour la destruction, un, deux ou trois points bleus indiquant l’état d’avancement de la maladie. Les arbres sont abattus depuis une barge. Les branches et le tronc sont prélevés et déposés sur la barge, tandis que tous les copeaux et résidus sont aspirés pour éliminer toute trace de maladie et éviter la contagion aux arbres voisins. On dit que la maladie proviendrait d’une caisse de munition américaine stockée depuis la seconde guerre mondiale.
Légende ou vérité historique ? Quoi qu’il en soit, le mal est fait et on constate fréquemment la présence de nombreuses souches qui se succèdent parfois pendant plusieurs centaines de mètres. Tournant le dos à mon compagnon après l’avoir remercié pour ce moment agréable passé en sa compagnie et pour les nombreuses informations fournies, j’affronte l’une de ces zones non ombragées. Il faudra sans doute plusieurs dizaines d’années pour retrouver un paysage sensiblement analogue.