Le village de Saint-Paul de Fenouillet a la particularité d’être situé dans une vallée large de trois à quatre kilomètres, bordée de deux franches lignes de crêtes. Au sud, la Clue de la Fou est une porte ouverte sur les Pyrénées. Au nord, le Pays Cathare que j’atteindrai demain. La topographie du secteur est tourmentée. L’Agly, qui traverse le village, a sans doute profité de la porte laissée ouverte pour se faufiler vers le sud par la Clue de la Fou. C’est curieux, car ce n’est pas le plus court chemin pour rejoindre la Méditerranée. Pourquoi ce petit fleuve n’a-t-il pas opté pour le parcours emprunté par son affluent le Maury, qui prend sa source sur la commune de Saint-Paul?
Je n’avais guère l’esprit à ces considérations topographiques, tandis que je marchais péniblement vers saint-Paul en ce début d’après-midi torride. Sans doute avais-je inconsciemment envie de profiter de la fraîcheur de l’Agly. Sur la carte, mon itinéraire tracé en rouge semble lui-même attiré par le cours d’eau, choisissant de se rapprocher du Moulin de Saint-Arnac. Le balisage du sentier disparaît à plusieurs reprises dans le pierrier instable qui domine d’une cinquantaine de mètres le ruisseau, dont je devine la présence en contre-bas. Il m’est difficile de m’orienter et j’ai fini par perdre mon chemin. Plutôt que de remonter la pente, ce qui aurait constitué la décision la plus sage, j’opte pour la descente abrupte malgré les pierres qui glissent sous mes pieds. Plus bas, l’épaisse ripisylve m’empêche d’approcher l’eau. La bataille est rude. Il me faut bien trente minutes pour rejoindre la rive. Je la longe ensuite péniblement vers l’amont dans l’espoir de rejoindre un sentier et découvre avec bonheur un seuil en pierre d’une vingtaine de mètres de long en travers de l’Agly.
Moi je veux bien ne pas rire du malheur des autres, mais il faudrait alors que les autres fassent un petit effort pour ne pas être ridicules Philippe Geluck
Une dizaine de mètres en aval de la retenue, un pêcheur est concentré sur son hameçon. Pour rejoindre le village de Saint-Paul de Fenouillet, l’option la plus rapide consiste à traverser le cours d’eau sur le seuil pour rejoindre la route départementale 619. Un flux continu d’eau de cinq à six centimètres s’écoule dessus. Il y a bien deux mètres d’eau en amont et autant de vide en aval, mais le courant n’est pas très fort et ne devrait pas m’emporter. J’ôte mes chaussures, les accroche à mon sac et tente quelques pas sur le seuil immergé. Mes pieds glissent dangereusement, au point que je renonce à traverser le barrage de peur de finir à l’eau. Je choisis finalement la traversée à gué, une centaine de mètres en aval du barrage. Les pieds nus, j’enjambe sans difficulté quatre ou cinq filets d’eau. Le dernier est beaucoup plus difficile à franchir. Il est large de deux mètres, le courant est puissant, et je risque de me mouiller jusqu’aux épaules. Dans quelle galère me suis-je lancé ? Il faut en finir! J’ôte mes vêtements, enfouis le tout dans le sac, le jette péniblement sur l’autre rive. Il s’abat violemment sur le sol, roule en contre-bas avant de se stabiliser à quelques centimètres de l’eau. Le sac est sauvé, à moi de jouer ! Je glisse dans l’eau glacée, me laisse dériver sur quelques mètres en évitant les rochers et atteins enfin l’autre rive. Le tour est joué. Dommage que le pêcheur n’ait pu assister à la scène! Il aurait vu de quoi est capable un vrai aventurier.
Une fois rhabillé, je reprends ma marche et tombe stupéfait sur le pêcheur qui s’agite au beau milieu du barrage. Très alerte, il se déplace sur le muret, lançant sa ligne de droite à gauche, les pieds chaussés de simples tongs. Je fais profil bas et poursuis mon chemin. Voilà une heure que je galère pour franchir ce cours d’eau alors qu’une minute ou deux auraient suffi, avec un peu de courage.
Au moins, je pourrai raconter plus tard, une fois mon périple achevé, que j’ai traversé un fleuve à la nage.