Seul, je suis seul sur mon chemin de montagne, en route pour le Pic du Canigou. Pas le temps de ruminer, de me questionner une nouvelle fois sur le sens de mon projet, de regarder derrière moi celles et ceux que j’abandonne durant quelques semaines pour accomplir mon rêve : une traversée intégrale et en solitaire de la France à pied, du sud au nord.
Par chance, la météo est excellente et les 1600m d’ascension n’auront pas raison de mon moral, pas plus que cette famille de sangliers qui m’observe, confortablement installée au milieu du sentier que nous partageons.
La cabane pastorale des Estables constitue l’étape finale de cette journée d’ascension. Je la découvre entourée d’estives, après avoir cheminé durant plusieurs heures parmi les somptueuses futaies de conifères et feuillus de la forêt domaniale du Haut Vallespir, qui surplombe le village fortifié de Prats-de-Mollo.
un Relais & Chateaux à 1800m
Je découvre avec surprise, voire désenchantement, que la cabane est accessible en voiture par une piste carrossable. A 1800m d’altitude, je m’attendais à passer ma première nuit en montagne seul, ou au sein d’une communauté de marcheurs qui auraient produit des efforts analogues aux miens et auraient mérité le réconfort d’un abri bien chauffé. Passé ce bref moment de déception, je me joins à la famille réunie autour du poêle à bois. Pascal et Estelle sont des habitués du lieu. Ils résident plus bas dans la vallée et viennent de temps en temps se détendre quelques jours dans cette cabane avec leurs deux enfants et leur chien, pour profiter pleinement de la nature. Je suis très rapidement invité à partager leur repas, ce que j’accepte avec d’autant plus de plaisir que je sais que je n’aurai pas souvent l’occasion de me régaler de saucisses, légumes et salades durant les prochains jours. Instants de convivialité durant lesquels chacun se dévoile peu à peu, parfois avec pudeur ou retenue. Est-ce le fait de se sentir si petit au milieu d’une nature grandiose qui amène ainsi les langues à se délier ? Moi qui suis plutôt réservé dans ma vie de citadin, comment se fait-il que je sois si prompt à échanger avec des inconnus? Peur de la solitude? Besoin de partager les émotions d’autrui? Ou de faire partager les miennes? Voilà quelques sujets de réflexion à approfondir durant mes prochaines étapes solitaires!
Je n’ai pas vraiment le temps de creuser le sujet, car un écho de moteurs nous parvient du dehors. Trois véhicules s’approchent et font halte à une cinquantaine de mètres de la cabane. Pas de doute, il y aura foule cette nuit aux Estables. Les moteurs sont à peine coupés que le ton est déjà donné. Six adultes et un enfant jaillissent hors des voitures, franchement décidés à passer du bon temps. La soirée promet d’être festive. Les hommes installent les tentes, cherchant vainement à se protéger du vent glacial qui s’est levé en fin d’après-midi et que nul obstacle n’arrête, quel que soit l’endroit où l’on tente de s’abriter. Les femmes ont sorti paniers et glacières chargés de victuailles et boissons en tous genres. Rosa s’exclame: « qui vient m’aider à sortir la paella? » Fred et Bernard ont déjà préparé le feu sur le barbecue géant qui accueillera la grande poêle à paella autour de laquelle nous passerons une longue et chaleureuse soirée. Tout le monde est de la fête. Pascal et Estelle, ainsi que quatre jeunes randonneurs qui arrivent frigorifiés après leur longue journée de marche, se sont joints au groupe. Assiettes bien remplies et verres de vin nous permettent de résister longtemps au froid nocturne.
des rencontres éphémères
De retour dans ma tente, allongé et grelottant dans mon sac de couchage si peu adapté aux températures de haute montagne, je me repasse le film de la journée et m’interroge sur le sens de ces relations et échanges éphémères. Demain, nous nous séparerons pour ne garder que quelques photos en guise de souvenirs. Est-ce ce que je suis venu chercher en m’engageant dans cette traversée de la France ? Des rencontres sans lendemain?