Aire de Côte

Un petit rayon de soleil éclaire l’une des tables de pique-nique du refuge silencieux d’Aire de Côte. Fatigué par cette longue descente depuis le Mont Aigoual, je décide de faire une rapide halte casse-croûte avant de reprendre mon chemin.


Concentré sur la préparation de mon pique-nique, je suis interrompu par les paroles douces d’un jeune garçon jouant avec son chien. Y aurait-il âme qui vive dans cette vaste et austère forêt domaniale de l’Aigoual? S’agit-il d’un enfant égaré?
A peine ai-je le temps de mettre mes idées en ordre que le garçon, pas farouche, m’aborde et me bombarde de questions, tandis que son chien paraît plus intéressé par mes tranches de saucisson. Passé l’interrogatoire, je poursuis les civilités en le questionnant à mon tour. J’apprends qu’il s’appelle N, qu’il a neuf ans, qu’il est en CM1 à l’école des Plantiers mais qu’aujourd’hui – mercredi – il reste à la maison avec sa maman et son chien. Je comprends que ses parents sont les gérants du refuge lorsqu’une jeune femme d’une trentaine d’années surgit au coin de la bâtisse, portant une bassine de linge.
Alors qu’elle sermonne gentiment son fils, lui demandant de me laisser en paix, j’engage la discussion à mon tour, au risque de paraître indiscret. Je suis curieux d’en apprendre un peu plus sur cette femme et ce jeune garçon qui semblent résider dans ce lieu isolé, perdu au milieu de la forêt.

un projet de vie au milieu de la forêt

Fabrice et moi sommes venus nous installer ici avec nos deux enfants voilà deux ans. Nous avions répondu à une annonce publiée par le Parc National des Cévennes qui cherchait à recruter un couple de gérants pour développer une activité d’accueil permanent. Nous souhaitions développer un projet écotouristique. Comme le gîte est très isolé et que nous sommes ouverts toute l’année, nous avons fait le choix d’une autonomie électrique et hydraulique. Nous accueillons des randonneurs avec leurs animaux de compagnie, ânes et chevaux.
Surpris d’apprendre qu’ils vivent à l’année dans ce refuge, je questionne Isabelle sur la scolarité de ses enfants.

une réforme lourde de conséquence

L’aîné est en pension au collège et le petit va à l’école primaire du Plantiers. Il prend le bus scolaire matin et soir. Comme son frère, il ira probablement à l’internat lorsqu’il entrera en sixième.
Isabelle poursuit en abordant la question de la réforme des rythmes scolaires engagée par le ministre Peillon et reprise par son successeur Benoit Hamon. Elle paraît très engagée dans le débat local avec les enseignants, les élus et parents d’élèves des villages alentour, pour mettre en place ce dispositif imposé par l’Education Nationale. Le sujet ne m’est pas totalement inconnu car il a fait l’objet de nombreux débats dans la presse. J’avais eu l’occasion d’en discuter avec des familles de mon entourage. Comme je vis en ville, j’avais plutôt reçu des échos de citadins. Cet échange me permet de voir les choses différemment, car les questions que se pose cette maman qui vit dans un environnement très rural prennent une tout autre dimension. Au nom du bien-être des enfants, on leur demande de passer une demi-journée supplémentaire à l’école. On leur impose donc de se lever à 6h30 le mercredi matin au lieu de se reposer. En milieu rural, ils passent entre 30 et 45 mn en moyenne dans le bus pour chaque trajet. Et quel parcours ! Elle a beau être à la croisée de nombreux chemins de randonnées pédestres et équestres (GR6, GR7, Tour du pays Cévenol, Tour du Mont Aigoual), accueillant des centaines de promeneurs chaque année, la maison de Fabrice et Isabelle n’en demeure pas moins isolée de la route. Je saisis à travers les propos d’Isabelle que ses enfants et ceux des familles environnantes vont devoir faire un aller-retour supplémentaire le mercredi, sous prétexte de raccourcir les journées d’enseignement . Et ce n’est pas pour ça qu’ils rentreront chez eux plus tôt les autres soirs !
A écouter cette jeune mère égrener les contraintes qu’impose la mise en place de cette mesure, je ne peux que m’incliner devant le bon sens de ses propos.

des territoires bien vivants

Ces discussions révèlent les contraintes de ces familles qui vivent et travaillent en milieu montagneux, loin des équipements et services proposés par les villes. Cet exemple pointe également le manque d’attention que je porte au quotidien de ceux qui vivent sur les territoires que je traverse. Quand je chemine le long du parcours que j’ai soigneusement surligné en rouge sur ma carte IGN, je fais régulièrement des rencontres qui sont prétextes à discussions, parfois brèves, parfois longues. On m’interroge toujours, pour savoir d’où je viens et où je vais. Mais les gens ne me racontent pas souvent quand, comment et pourquoi ils se déplacent autour de chez eux. J’aimerais pourtant comprendre les flux et reflux de ces habitants dont je croise le chemin, comment ils vivent sur leur territoire, où ils travaillent, où ils font leurs courses quotidiennes, où ils se font soigner. Qu’en est-il de leur vie sociale et culturelle dans ces milieux où la géographie et le climat ne facilitent pas les déplacements ? Les quelques échanges que j’ai eu avec Isabelle révèle une femme active à l’esprit ouvert, probablement impliquée dans la vie sociale du canton. J’aimerais en savoir plus, prendre le temps d’observer et de comprendre les pulsations des espaces traversés par mon fil rouge.