Promenons-nous dans les bois,
Tant que le loup n’y est pas,
Si le loup y était,
Il nous mangerait,
Mais comme il n’y est pas,
Il nous mangera pas.
Loup, y es-tu? M’entends-tu?
Que fais-tu?
Impossible de me défaire de cette comptine qui trotte dans ma tête depuis ma rencontre avec la bergère. Et si je le croisais vraiment, ce loup? Est-ce vraiment prudent de planter ma tente dans le coin? Je n’ai pas le courage de pousser plus loin pour trouver un hébergement. Il y a bien l’Abbaye de Notre Dame des Neiges à cinq kilomètres, mais cela m’obligerait à m’écarter de mon chemin.
Je mets ma chemise
Je mets mes chaussures
Bondissant à quelques mètres de moi, une biche détale, effrayée par ma présence improbable en lisière du petit bois à proximité duquel je suis venu chercher refuge pour la nuit. Je ne sais lequel de nous deux a eu le plus peur ! J’ai cru un instant avoir affaire au loup.
Va pour ce magnifique emplacement baigné de soleil, qui surplombe la petite ligne de chemin de fer qui relie Langogne à Alès. Ça sent bon la nature, l’herbe fraîchement fauchée. La soirée et la nuit s’annoncent agréables.
Mon rituel de fin de journée débute généralement par l’installation de la tente. Il ne me faut guère plus de cinq minutes. Je pourrais la monter les yeux fermés. Pourtant ce soir je suis moins rapide, car je dois me battre avec quelques mouches qui me tournent autour. Dès cet instant, j’aurais dû comprendre que la soirée allait être moins romantique que prévue.
Après la tente, la toilette. En l’absence de point d’eau, je puise dans ma réserve. En général, j’anticipe en remplissant mes deux bouteilles de 1,25 litre chacune en prévision de mon bivouac. Je sacrifie 1 litre pour la toilette de la tête jusqu’aux pieds. C’est suffisant. Quand je pense qu’à la maison, je dois consommer 80 litres pour ma douche quotidienne ! Pourtant, ce soir, je n’atteins pas les pieds. Je dois interrompre la toilette à mi-parcours car les mouches ont de nouveau sévi. Elles sont venues m’importuner lors de mes ablutions, et j’ai commis l’irréparable en faisant un geste brusque d’énervement pour les chasser. Bilan, ma bouteille s’est renversée, compromettant la fin du programme lavage et le rinçage.
Tout n’est pas perdu, la soirée peut encore être plaisante. C’est maintenant la phase de repos avant le souper, consacrée à la prise de notes sur les événements et rencontres de la journée écoulée. J’apprécie également de me plonger dans mon roman. Après trois tentatives de recherche d’un emplacement confortable pour poser mes fesses, je comprends que pour ce soir, ce ne sera pas possible : les mouches finissent toujours par me retrouver. J’ai beau tenter de courir pour leur échapper, elles doivent se passer le mot entre elles et me rejoignent dans la minute qui suit. D’abord deux ou trois, puis une dizaine et enfin toutes les mouches de la Terre. Pourquoi cet essaim de mouches me colle-t-il aux basques ? Je n’ai rien à leur offrir, je ne les aime pas, je veux qu’elles dégagent ! Ce n’est pourtant pas la place libre qui fait défaut par ici.
Passablement énervé, je zappe la phase repos-écriture-lecture pour passer directement à la suivante, le repas. J’ai une faim de loup !
Je mets ma culotte,
Je mets mon pantalon
Habituellement, préparer mon repas après une rude journée de marche est un réel plaisir. Ce soir, j’appréhende ce moment car je sais déjà que les mouches vont le gâcher. Par malheur, je n’ai pas choisi le repas anti-mouches. Tomate, maquereau en boîte, céréales, pêche. Je mets en œuvre une opération commando pour faire chauffer de l’eau sans faire brûler la forêt. Pas question de renverser le réchaud d’un coup de main pour chasser les importunes. En dix minutes, j’ai fait chauffer mon eau et ingurgité mon repas debout, non sans avoir renversé du jus de maquereaux sur mes mains et mon pantalon propre tandis que je déambulais d’un pas rapide, zigzaguant tel un fou afin d’échapper à la nuée.
Il est dix neuf heures, je laisse tomber le brossage de dents. Que faire d’autre que de me réfugier dans ma tente ? Je mets en place une stratégie pour pénétrer dans mon refuge sans faire rentrer les envahisseuses : une petite course à l’opposé de mon bivouac suivi de mon cortège de groupies et un sprint pour revenir à mon point de départ, ouvrir la fermeture du double-toit puis celle de l’abri. Je dois m’y prendre à trois reprises, car elles me rattrapent avant que j’ai eu le temps de mettre l’intégralité de mon plan à exécution. Une fois à l’intérieur, une opération d’extermination des cinq à six mouches qui ont réussi à se faufiler est nécessaire avant d’ouvrir mon carnet de notes. À peine ai-je le temps d’écrire quelques mots que les vrombissements reprennent crescendo. Ces pestes sont de plus en plus nombreuses à se faufiler sous le double-toit dont elles ne peuvent ensuite plus s’échapper. Sans doute m’ont-elles repérées. Le bruit, dans la tente, est insupportable. Pourquoi l’expression « entendre les mouches voler » caractérise-t-elle le silence? Il n’y a pas plus bruyant et irritant que ce vacarme. J’enfonce mes boules Quiès dans mes oreilles pour me replonger dans mes lectures. Cette fois, j’ai vraiment l’impression qu’elles ont pénétré à l’intérieur de mon crâne. J’ai envie de hurler !
Je mets mes boules Quiès,
Je prends ma tapette à mouches,
et vlan, et vlan, et vlan
Je me demande si je n’aurais pas préféré la compagnie du loup !