Peu après le hameau des Chazeaux, le GR7 quitte la route départementale qui traverse la forêt de Mercoire pour rejoindre le Cheylard-l’Eveque. Il emprunte sur la droite une piste forestière qui serpente entre les futaies de feuillus puis de conifères. Le parcours est sans attrait et la température particulièrement élevée. Pourtant, j’ai le moral. Michaël, un bon copain parisien vient de me passer un coup de fil pour me dire qu’il me rejoindra demain à Langogne pour passer quelques jours avec moi sur les chemins. Sa compagnie me réjouit d’avance. Plongé dans mes pensées, je suis surpris par la brusque apparition d’un Vttiste. Il est si rare de croiser âme qui vive sur ces chemins que nous nous accordons un quart d’heure pour discuter de la région.
A la recherche des sources de l’Allier
Il m’informe qu’il n’a pas trouvé les sources de l’Allier qui sont indiquées sur la carte IGN. Je suis déçu, mais à vrai dire cela ne me surprend pas. Elles sont rarement matérialisées sur le terrain car il n’est guère aisé d’identifier le filet d’eau le plus en amont. Cela me rappelle quelques échanges assez vigoureux que j’avais eu avec un élu qui revendiquait la présence de la source de la Creuse sur sa commune, alors que sur la carte IGN elle était indiquée sur une commune voisine. Peut-être espérait-il attirer les touristes du monde entier? D’autres prétendent bien être le centre géographique de l’Europe ! Penché attentivement sur ma carte pour comprendre la topographie du lieu, je suis intrigué par la géographie des cours d’eau. A droite de mon chemin, l’Allier file au sud-est puis se dirige plein nord vers la Bastide-Puylaurent avant de se jeter dans la Loire. A gauche coule le Chassezac que je viens de traverser, au hameau des Chazeaux. C’est un affluent de l’Ardèche, lui-même affluent du Rhône. Un peu désorienté, je saisis pourtant que je suis sur la ligne de partage des eaux entre deux bassins versants, celui de la Loire et celui du Rhône. Mais mon étonnement ne s’arrête pas là, car ce matin, en quittant le joli village du Bleymard, j’ai longé le Lot pendant quelques kilomètres. Comment est-ce possible? Le Lot est un affluent de la Garonne. Ma carte indique qu’il prend sa source sur les crêtes du Goulet à quatre ou cinq kilomètres au sud de l’endroit où je me situe. Pour en avoir le cœur net, je dégaine mon smartphone, sollicite l’aide bienveillante de Google et Wikipedia qui me confirment ce que je pressentais : je suis à deux ou trois kilomètres du point de partage de trois bassins versants, Adour-Garonne, Rhône-Méditerranée et Loire-Bretagne.
Impensable ! Je suis au sommet d’un gigantesque château d’eau.
Je suis le maître des eaux d’un royaume vaste comme les trois-quarts de la France. Si je jette ma bouteille dans l’Allier qui sourd à deux pas de moi, elle finira sa course à Saint-Nazaire; dans le Chassezac à trois pas, elle échouera en Camargue. En une heure de marche, je peux rejoindre les sources du Lot pour y jeter ma bouteille qui glissera alors sous le Pont de Pierre à Bordeaux avant de se jeter dans l’Atlantique. Allongé sur le tapis d’herbe fraîche qui borde le chemin, je rêve à trois gouttes d’eau partageant le même nuage, qu’un coup de vent malicieux séparerait en les jetant chacune dans l’une des trois rivières.